Tout lire...
Sandy BC
Barcelone, Espagne - Française
Autres écrits
MES PETITES VIEILLES
Pour rentrer chez mes petites vieilles il faut sonner et attendre patiemment l'ouverture de la porte.
Un verrou, deux verrous et enfin la clef dans la serrure.
Quand on entre chez mes petites vieilles ça sent le vieux.
Chez mes petites vieilles on pose ses affaires sur le petit guéridon dans l'entrée.
Le salon de mes petites vieilles porte les rides du temps.
Il y a une grande table avec un vase rempli de fleurs en tissus et huit chaises.
La vaisselle et les verres en cristal sont dans des vitrines.
Tous est là, prêt à être sorti de son placard pour une éventuelle réception.
Mais mes petites vielles ne reçoivent plus.
Les yeux humides de mes petites vieilles me racontent les anciens repas.
Ils me racontent les petits enfants qu'elles voient grandir, une fois par an, sur papier glacé.
Ils me racontent les souvenirs de cette amie et de cet époux, dans les cadres sur le buffet.
Mes petites vieilles m'offrent du café et des petits gâteaux.
Dans leur kitchenette il y a dans l'égouttoir, une assiette, une fourchette et un couteau, toujours les mêmes.
Dans une odeur de petits-pois-carotte, sur un plateau en plastique édenté, on dispose la boîte en métal des petits beurre, les tasses en porcelaine, peintes de scènes bucoliques, et le petit pot de sucre.
On ne parle pas beaucoup chez mes petites vieilles.
On écoute, on s'observe, on se sourit.
Elle n'emploient plus ni présent ni futur, et au passé elles doublent leur récits qu'on a déjà entendu.
Mes petites vieilles sont toutes coincées.
Elles vivent dans des corps rouillés.
Elles souffrent de s'assoir puis de se lever.
Elles ne se baissent plus.
Les genoux de mes petites vieilles se plient à peine et avec peine.
Elles marchent lentement mes petites vieilles.
Leurs petits pieds sont dans des pantoufles à carreaux bleus avec de la fourrure dedans.
D'ailleurs elles ne marchent plus vraiment.
Leurs pieds glissent l'un après l'autre sur le carrelage.
Les mains de mes petites vieilles ont des doigts crochus.
Souvenir du crochet, en souvenir, posé sur un fauteuil fatigué.
Quand je quitte mes petites vieilles j'embrasse leurs joues froissées qui sentent bon la nivéa.
Je lis dans leurs regards l'espoir de ne plus me revoir.
Je sais qu'elles lisent dans le mien l'espoir de les voir encore.
Et la porte se referme sur mes yeux humides.
Quand vient la nuit je pense à elles.
Elles s'endorment, si petites, si fragiles, dans des lits trop grands.
Du regard elle caressent peut-être l'oreiller vide à leurs côtés.
Je pense à elles qui ferment leurs yeux humides sur leur si grande solitude.